Cultes religieux… et de la personnalité
Je retrouve ma route centrale, qui relie les sites du passé géorgien. Mtskheta, mon étape du soir, est à la confluence de deux rivières. Son sanctuaire est toujours gardé par les lions de basalte du temple d’avant : la piété antique s’est recyclée dans le christianisme, imposé au Ve siècle par les princes locaux. Mais sous les croix de la nef, les pèlerins ont les gestes amples et le murmure rauque d’une foi superstitieuse et rurale.
Même quand la chaussée est bonne, je garde en tête la plaie des routes de Géorgie : les troupeaux de vaches qui paissent sans clôture. Roulant vers l’ouest, je fais l’impasse sur la cité troglodyte de David Garedja, mais j’en vois une autre, Ouplistsikhé. Ce village a les crevasses rondes d’une belle morille. J’y détaille plafonds à caissons romains, meubles à orge, jarres à vin, les rigoles pour écluser l’eau, l’inévitable église. Une nonne me vante son miel aux parfums de cire et d’enivrantes épices à brochettes.
À présent, je fais vrombir un pont de style socialiste. À mon regard s’impose un piton, garrotté à double tour par sa muraille. J’ai atteint Gori, ville natale de Joseph Djougachvili, alias Staline. Sous les conifères odorants, une pauvre bicoque coiffée d’un péristyle : sa maison d’enfance devenue relique. Un musée chante toujours les mérites du tyran, et, dans son bureau du Kremlin échoué ici, la gardienne récite en riant son numéro de téléphone. Il y a encore son wagon spécial, spartiate : couchette à une place, chaise du garde du corps. Staline ne prenait pas l’avion ; le mal de l’air. Toujours ces rivières. Le samedi, les familles y viennent rôtir des côtelettes sur la braise de hêtre.
Les cours d’eau sont les routes aqueuses de la Géorgie, gardées par des forteresses telle l’intimidante Khertvisi qui, barrant la route de son donjon fendu, la fait éclater en deux chemins de goudron rapiécé. Alexandre le Grand et ses phalanges sont passés ici. J’aperçois enfin Vardzia. Si Oplistsikhé s’étend,Vardzia s’étage, et je commence la visite par le haut. Dans le tuf s’ouvre l’ancien habitat. Voici une chapelle. Je descends. Un monastère à fresques et les senteurs volutées des cierges jaunes. Des entrepôts, des marches inégales. Descendant toujours, en nage, j’atteins une porte secrète : la sortie.