Géorgie, la traversée de la route centrale

Que diable voit-on dans ce pays caucasien serti entre Russie et Turquie, Arménie et Azerbaïdjan? Une civilisation particulière, qui tient à ses traditions et mêle ses mythes les plus antiques aux figure récentes.

Comme moi, vous préciserez cent fois : vous partez bien pour la Géorgie, voisine de l’Arménie, et pas celle du sud des États-Unis ! La nôtre doit son nom à saint Georges, pourfendeur du dragon polythéiste. Ses habitants, eux, appellent Sakartvelo ce pays qu’on ose si peu placer en Asie, tant on n’y voit que des églises. Je fais un tri parmi toutes celles que mes guides mentionnent, me limitant aux seules assez originales. Je peux ainsi m’ouvrir au reste de cette terre qui ne ressemble à aucune autre, avec son cœur qui bat de légendes héroïques, de paysages exagérés, de flots de vins obsédants et de montagnards au rire amical.

Et me voici à Tiflis, la capitale ; Tbilissi de son nom géorgien imposé par Staline – qui fut séminariste dans un couvent, actuel musée des Beaux-Arts. Cisaillant la cité, une rivière serpente sous des ponts aux airs parisiens, viennois ou futuristes. Au-dessus, la Mère des Géorgiens tire l’épée, statue colossale et énigmatique sous son éclat d’alu. Tout est en pente : la rive droite grimpe vers une forteresse cernée de vergers, la gauche, vers les terrasses de la cathédrale de la Trinité, près de venelles aux cent petits métiers. N’étaient les sarments de vigne qui se tortillent aux balcons ajourés, les parties vieilles de Tiflis pourraient être village ottoman, avec ici une horloge de traviole comme une montre surréaliste, là les dômes roses des bains sulfureux, où vingt générations se sont brûlé la peau.

L’or des Argonautes

Les avenues Art nouveau ont l’élégance de l’Autriche-Hongrie. Le centre a des relents moscovites, avec ses « perspectives » à six voies, sous lesquelles passent ces souterrains à boutiques où se presse la foule.

Le Parlement brandit encore les emblèmes soviétiques. En face, le musée national m’initie à l’histoire du pays et de son ancêtre, la Colchide. C’est elle qui a légué le butin de sa chambre du trésor : des centaines de bijoux faits de grains d’or, qu’on cueillait en tamisant les ruisseaux dans des peaux de mouton. Ce serait là l’origine de la Toison d’or que vinrent voler ici le grec Jason et ses Argonautes.

Avant de me frotter à la route centrale, je m’offre un crochet par le nord, qui se traduit en longs zigzags escaladant le Caucase. Les pics basculés s’offrent le vertige des précipices, au fond desquels plane le sifflement des busards. Bêlant à flanc de mont, les brebis filent telles des myriades de fourmis blanches. Sur une caillasse au calibre de boulet de canon perchent des chalets de lauze et, là-haut, des hameaux formés de bouquets de tours. Au bout de la piste, un monastère qui sent la source d’altitude. Les camions stoppent. Expirant leur haleine de mauvaise essence, avant de trépigner devant la paperasserie de la frontière russe.

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